jeudi 2 février 2012

Ibrahima Moctar Sarr, président de l’AJD / MR




11:21
Ibrahima Moctar Sarr, président de l’AJD / MR
'L’essentiel des sept points d’accord conclus pour notre adhésion à la majorité n’a pas connu d’application véritable et notre présence en son sein ne se justifie plus'. 

Le Calame : Où en est le gel de votre participation à la majorité présidentielle? A votre avis, pourquoi les autres partis de la majorité présidentielle ne se sont pas solidarisés avec l’AJD/MR, en sa demande de suspension de l’enrôlement, suite à la mort du jeune Mangane de Maghama et des manifestions pacifiques de «Touche Pas à Ma Nationalité» (TPMN) réprimées par les forces de l’ordre?
Ibrahima Moctar Sarr: L’AJD/MR a gelé son appartenance à la majorité présidentielle le 27 septembre 2011, à la suite de l’assassinat du jeune Lamine Mangane, par un gendarme, lors d’une manifestation, à Maghama, contre l’enrôlement. Nous avons pris cette décision après avoir promu plusieurs initiatives, tendant à restaurer le calme et à permettre une meilleure approche de l’enrôlement. A cet effet, j’avais, personnellement, rencontré le Président de la République, après ma tournée à l’intérieur du pays où les populations m’avaient fait part de leurs préoccupations.

J’avais, également, provoqué la réunion des partis de la majorité, au sujet de l’enrôlement, et il en avait été décidé de saisir le gouvernement, pour lui demander, entre autres, de réformer la commission de supervision des opérations de l’enrôlement, pour qu’elle soit plus représentative de toutes nos communautés nationales. Mais rien n’a été fait, malgré les promesses du Premier ministre, jusqu’au jour du drame de Maghama.

Notre décision, alors, fut assortie de certaines conditions: le jugement des responsables du meurtre de Lamine Mangane et la suspension de l’opération d’enrôlement, pour une meilleure prise en compte des préoccupations des populations.

A ce jour, le gouvernement ne semble pas s’orienter dans cette direction, même si l’on peut noter une nette amélioration, dans les modalités d’enrôlement, encore que celles-ci ne soient pas sous-tendues par des mesures administratives et sont, donc, sujettes à un retour à la situation antérieure ou à des blocages, en amont dont seuls les décideurs restent les maîtres.

Dans ces conditions, le parti va, incessamment, apprécier le bilan de sa participation à la majorité, en constatant que l’essentiel des sept points d’accord conclus, pour son adhésion à celle-ci, n’a pas connu d’application véritable et que sa présence en son sein ne se justifie plus.

L’AJD/MR se félicite, cependant, d’avoir emmené la majorité présidentielle, généralement censée suivre, sans réserve, les positions du gouvernement, à demander la révision de la commission de supervision et de la conduite insidieuse de l’enrôlement.Pour qui connaît la nature de ce genre de regroupement, c’est déjà important.

On assiste, depuis quelque temps, à la mise en œuvre des résultats du dialogue politique entre le pouvoir et quatre partis de l’opposition. Le gouvernement a soumis plusieurs projets de lois au Parlement. Etes-vous satisfait de la mise en œuvre de cet accord? Pensez-vous que la CENI, dans le format proposé, sera réellement indépendante ? Saura-t-elle organiser des élections transparentes et incontestées? 

Après avoir apprécié, à leur juste valeur, les résultats du dialogue entre la majorité et l’opposition participationniste, l’AJD/MR se félicite des actes posés, par le gouvernement, pour la mise en œuvre des accords. Je rappelle que mon parti avait attiré l’attention sur l’irrespect des conclusions véritables des travaux en commission, durant le dialogue, notamment en ce qui concerne la réforme constitutionnelle, sur l’identité de la Mauritanie et l’option d’officialiser les langues nationales, avec, en corollaire, la réouverture de l’institut des langues nationales; toutes chose qui ne figurent pas dans le rapport final paraphé.

Je pense que la CENI doit réunir toute l’opposition, dans son ensemble. Les partis de l’opposition participationniste doivent se rapprocher des autres, pour la proposition des sept membres de cette commission. La majorité doit, elle aussi, agir de manière démocratique, en son sein. Le gouvernement ne doit pas choisir les sept membres de celle-ci, sans consulter les partis intéressés, y compris l’AJD/MR, en la circonstance. Dans ces conditions, on peut bien faire confiance à la CENI, en espérant que le gouvernement lui apportera un soutien conséquent mais c’est à l’opposition réunifiée de défendre cet acquis.

Au terme des différents amendements proposés par l’accord politique, la Mauritanie devra organiser des élections municipales et législatives. Que pensez-vous d’un scrutin sans la participation de la COD? Le cas échéant, l’AJD y participerait-elle? 


Ce que je ne cesse de demander, aux partis de la COD, c’est de venir pour une application stricte de ce qui vient d’être obtenu, malgré les réticences d’une certaine majorité d’entre eux. Ces résultats vont renforcer la démocratie, réduire l’influence du Parti-Etat et consolider les partis politiques. Dans les réformes constitutionnelles adoptées, il y a des points importants, pour le renforcement de l’unité de nos composantes nationales. Boycotter les élections, dans ces conditions, équivaudrait à rééditer les erreurs politiques de 1992. L’AJD/MR ne s’engagera pas dans cette voie.

Depuis quelque temps, on assiste à un duel, à distance, entre le pouvoir et la COD. Le pays pourra-t-il, en ce climat, organiser des élections paisibles? Que fait l’AJD pour contribuer à rapprocher les deux camps? 

L’attitude anti-démocratique et intolérante de certains partis de l’opposition qui croient détenir le monopole de la vérité et de l’objectivité politique et qui n’acceptent pas l’indépendance des autres, en les menaçant de leurs foudres, a suscité un malaise, entre ces partis et l’AJD/MR. Nous avons été traités de tous les noms d’oiseaux, pour les positions, courageuses, que nous avons prises, en toute souveraineté, par certains ténors de ces partis, jusqu'à la diffamation même, par presse interposée.

Pour autant, nous n’avons pas cessé d’approcher certains de ceux-ci, afin de les convaincre de la justesse de notre démarche et en les invitant à la suivre.

Aujourd’hui encore plus qu’hier, nous sommes convaincus que l’opposition a commis des erreurs, mortelles pour notre démocratie, en donnant, en 2005, carte blanche au CMJD, pour gérer sa transition sans conditions; en empêchant, en 2007, la réalisation de l’alternance politique et la rupture, définitive, avec les militaires et leurs systèmes; et en refusant, depuis l’avènement du Président «civilisé» Ould Abdel Aziz, d’aider celui-ci à se libérer du système de Maaouya, qui l’a enfanté et dans lequel il est, malheureusement, en train de retomber.

L’opposition, au lieu de soutenir le Président en ses réformes, courageuses, malgré tous ses défauts avérés, cherche, plutôt, à le déstabiliser, y compris par la menace d’un retour à un régime d’exception. Pour sa part, l’AJD/MR a bien tenté mais échoué, dans cet effort, parce qu’elle était seule, avec quelques autres partis, comme le HATEM, le MPR, et le RD.

C’est vrai, nous devons, nous-même, nous remettre en cause et ravaler notre amour-propre, en cherchant à rapprocher les deux grands pôles divergents. Je pense que la conférence organisée, récemment, par ADIL va dans ce sens. Nous encourageons cette initiative et, si cela demande un nouveau report des élections et bien que ce ne soit pas notre souhait, nous ne nous y opposerons pas.

Parmi les points d’accord, il y a celui concernant la place des langues nationales autres que l’arabe. Qu’apporte cet élément au débat? Pensez-vous voir, un jour, toutes nos langues réintroduites dans le système éducatif? A quelle fin? 

J’ai subi, comme tous les citoyens mauritaniens, toutes les constitutions du pays, je n’en ai approuvé aucune. Celles sur lesquelles il m’a été donné de me prononcer, je les ai boycottées. Il s’agit de celle de 1991, de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, et celle amendée par le CMJD, en 2006. Entre autres amendements que j’ai toujours réclamés, figurent l’identité de la Mauritanie et l’officialisation nationale des langues pulaare, soninkée et wolofe.

Les nouveaux amendements conclus, entre la majorité et l’opposition, nous réconcilient, quelque part, avec la Constitution. Avant, il était simplement mentionné que les langues nationales sont l’Arabe, le Pulaar, le Soninké et le Wolof. Le nouvel amendement exige, de l’Etat, de promouvoir et de développer les trois autres langues nationales non encore officielles.

Il faut noter que les rédacteurs de l’accord conclu ont, unilatéralement, gommé la mention «en vue de leur officialisation», initialement retenue par toutes les parties au dialogue. Il n’en demeure pas moins que l’injonction, à l’Etat, de les promouvoir et de les développer donne, à ces langues, un caractère officiel, à terme.

Avec l’ouverture de l’Institut des Langues Nationales (ILN) se posera la question de ses objectifs, parmi lesquels leur introduction dans le système éducatif, leur prise en charge dans l’administration, en général, et dans les médias, en particulier. La Mauritanie ne peut pas se développer dans l’harmonie et la cohésion, si elle ne se base pas sur toutes ses cultures, et partant, sur toutes ses langues nationales.

Propos recueillis par Dalay Lam


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